« Jean est mort » : début mars 2020, Jean Echiffre meurt, enlevé subitement aux siens à soixante-quatre ans par une maladie foudroyante.
Après le décès, son épouse Noëlle reprend un projet en cours - un livre de photogra-phies, approches du minéral, du végétal, de l’animal et de la lumière. Son regard y déchiffre les mouvements inquiets de son esprit affligé.
Ce regard semble alors pris dans une équivoque : l’oeil de l’autre, qui situait le visible dans la perspective correcte, a-t-il disparu ? Ou se survit-il comme un oeil fantôme qui aide l’oeil vivant à mieux voir ? Partout l’oeil de l’une cherche l’oeil de l’autre, comme une fatalité heureuse ou désespérante.
Les images sont hantées, révélatrices. Souvenir réveillé par leur splendeur – les pierres, les jardins japonais, les promenades en forêt. L’absent est partout présent, parce que toujours derrière celle qui regarde. Perte et idéal : était-il beau comme ce qu’il aimait voir ? Images questions, elles ne répondent pas. Mémoire plus profonde : Eurydice se retourne sur Orphée qui lui ouvre la porte de l’archaïque. Une enfant enfouie retrouve la parole. L’oeil vivant et l’oeil fantôme extraient du monde muet, enregistré et imprimé, une écriture du deuil - absorption lourde, angoisse suppli-ciante, élan, impatience, attente.
On dit que l’art permet de vaincre la mort. Même celle de l’autre ? Un homme, c’est un regard sur le monde, qui survit. Le travail de l’art devient un travail du deuil, par un faufilage de l’élaboration psychique de la perte et de la logique des images et des textes. Une pulsion vitale résistante soutient ce double travail et s’en soutient. La disparition menace de la submerger. Mais le compagnon disparu veille au grain. Sa main absente guide celle qui écrit dans le labyrinthe des associations et significations nouvelles. Une perspective neuve ranime l’élan tapi au fond du deuil, fragile et me-nacé, mais encore vivace.